L’enfant, hôte ou otage ? – Réflexion sur l’inné, l’acquis et la liberté de penser
Une contribution inédite de Mohamed Gacem
Dans cette réflexion à la fois philosophique et poétique, Mohammed Gacem nous invite à méditer sur ce qui fait l’humanité de l’homme : sa capacité à apprendre, à aimer et à penser librement.
Hassen Ksantini, Rédacteur en Chef, Cheneyen Magazine.
Entre les lois de la nature et celles de la société, l’enfant naît innocent, ouvert au monde. Mais il devient parfois otage des dogmes, des peurs et des tabous qui étouffent l’imaginaire et la curiosité.
À travers un langage limpide et universel, l’auteur plaide pour une réhabilitation de la culture, de la liberté de conscience et de l’amour comme forces de vie et d’évolution.
L’univers et les lois naturelles
L’univers est régi par des lois naturelles et cosmiques visant à perpétuer la vie, la mort, la renaissance ou le recommencement, l’équilibre, l’ordre, l’harmonie et l’évolution.
Le monde animal et le monde végétal sont eux-mêmes régis par ces mêmes lois sous-tendant d’autres lois biologiques spécifiques inscrites dans les gènes de chaque espèce.
L’abeille, la fourmi, l’oranger ou l’olivier, par exemple, portent dans leurs gènes respectifs tous les réflexes innés vitaux et tous les éléments spécifiques codifiés qui conditionnent leur vie et leur mort. Quant au monde minéral, il est régi par des lois physiques et chimiques inscrites dans son essence même, interdépendantes d’un cosmos d’une perfection absolue dont seule Dame Nature en possède le secret.
L’homme, entre nature et culture
L’homme est soumis aux mêmes lois de la création. Cependant, en plus du capital génétique qu’il hérite à sa naissance et de certains réflexes innés — comme l’instinct de conservation, par exemple — il possède des facultés humaines qu’il développe au contact de son milieu communautaire affectif tout au long de sa vie.
Comme celles de penser, de parler et d’écrire, d’éprouver des émotions, d’aimer et de haïr, de chercher à apprendre et à comprendre, de développer des acquisitions, de modifier son mode de vie, de s’adapter, de construire et de détruire, de s’interroger sur son origine et sur son devenir, de réfléchir sur la vie et sur la mort, accumulant ainsi un acquis qui constituera sa culture.
C’est un être, dit-on, doué d’intelligence pouvant mener et partager une vie communautaire et sociale dont il portera l’empreinte.
De la fourmi à l’homme
Si l’abeille ou la fourmi naissent royalistes, vivent en communauté chacune dans son espèce et remplissent des fonctions bien déterminées, c’est parce qu’elles portent cela dans leurs gènes respectifs… à la différence de l’homme qui, à sa naissance, n’est ni royaliste, ni républicain, ne parle aucune langue et n’appartient à aucune chapelle.
L’enfant, hôte et otage
À sa naissance, l’enfant est l’hôte mais aussi l’otage de la société qui l’accueille à son entrée dans la vie.
Celle-ci aura la charge de son instruction, de son éducation, du développement de son mode de pensée, de sa sensibilité, de ses croyances, de la structuration et de l’épanouissement de sa personnalité et enfin de sa vision physique et métaphysique du monde.
Sa communauté d’accueil initiale, qui l’accompagnera tout au long de sa croissance, le marquera. Il finira par en devenir le produit et il en portera le label.
Les sociétés sous théocratie
Les communautés vivant sous régime politique théocratique sont décadentes aujourd’hui du fait de l’autarcie et du ghetto culturel dans lesquels les ont confinées les dictatures théocratiques embourgeoisées.
Elles sont peu courageuses à évoluer et demeurent enchaînées à une peur atavique et presque métaphysique entretenue par des systèmes répressifs et par des balises doctrinales trop rigides, découlant d’interprétations à la solde de ces mêmes dictatures, au sein desquelles le croire et les tabous ne laissent que très peu de place à l’imagination, à la libre réflexion et à l’interrogation philosophique et scientifique, qui sont le propre et l’essence même de l’être humain.
Quand le croire exclut le savoir
Quand le croire ne concède aucune place au savoir, l’interrogation et le doute deviennent alors des blasphèmes expiatoires.
Galilée et bien d’autres en ont fait les frais à l’âge funeste de l’Inquisition, et l’histoire est pleine d’exemples sur tous les continents.
Quand l’inquisition religieuse s’installe dans les mœurs et occupe le terrain politique, civil et civique, et que les libertés les plus élémentaires sont atteintes — telles que la façon de vivre, de se vêtir, de se raser, de se brosser les dents, de choisir ses lectures, de célébrer un mariage, de passer ses vacances en famille, etc. —
quand les domaines spirituels, temporels, et la destinée de l’homme sont complètement régentés et confisqués tout au long de sa vie par les mauvais prédicateurs et les mauvais exégètes à la solde des autocraties religieuses, son être, créé pour penser, s’épanouir et s’exprimer librement, privé de cette faculté, se fondra dans l’agnosie et le non-être et se revêtira de l’habit du renoncement du martyre.
Il se consacrera alors au culte de la mort plutôt qu’à celui de la vie, se repliera sur lui-même et n’aura plus le ressort de s’insurger.
De l’assujetti au fanatique
Il développera alors des sentiments négatifs et vivra comme le lui a inculqué sa communauté : sectaire, sans amour, dans la crainte des interdits et des tabous, et dans la peur des princes de droit divin.
Il est cependant important de souligner que l’amour, qui est un penchant naturel des êtres, est considéré dans ces communautés comme un sujet déshonorant et tabou, volontairement occulté et rarement abordé. En parler, c’est faire montre d’irrévérence, voire même de turpitude.
Or, n’est-ce pas l’amour, dans son sens le plus noble, qui ouvre la voie à la contemplation de la beauté de la création et, par conséquent, à la lumière et à la grâce divine ?
Bâillonné, embrigadé, amoindri, frustré de son libre arbitre et persécuté par un environnement obscurantiste, l’assujetti adoptera comme style de vie la tartuferie, le mimétisme et l’obéissance aveugle, qui le modèleront définitivement et le feront sombrer dans l’agressivité, le fanatisme, l’intolérance et la violence, car il croira — et voudra faire accroire — qu’il est détenteur de la vérité immanente.
Et de persécuté, il devient persécuteur.
« Tout homme persécute s’il ne peut convertir. Ce à quoi remédie la culture qui rend la diversité adorable. »
— Alain, Les Vigiles de l’esprit.
L’ultime dérive : la haine du vivant
Ce parcours faussera sa perception, l’éloignera de toute forme de rationalité et le mènera immanquablement au prosélytisme fanatique qui n’accepte aucune autre forme de différence.
Puis, pour plaire à ses précepteurs et à ses maîtres à ne pas penser qui l’ont initié et rompu à se plier, il se pliera et se mettra docilement à leurs ordres, pour faire plier d’autres — et l’humanité entière — à sa vision déformée du monde, à sa vérité et à son destin « d’exclu » sur terre, mais « d’élu » dans l’au-delà.
Tel serait le produit de toute communauté qui tournerait le dos au progrès et aux vraies valeurs humaines, et qui cultiverait l’obscurantisme, la bêtise, l’injustice, la terreur, l’intolérance et la haine.
(Texte de Mohammed Gacem – pour Explorations culturelles / Cheneyen Magazine )
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Ancien Inspecteur de l’Éducation et de la Formation, avec une mission particulière dans le domaine de l’éducation nutritionnelle, récipiendaire en avril 1998 du Wissam el Istihkak Ettarbaoui, M. Gacem est un auteur doué et fin observateur de notre époque. Pour consulter notre interview avec Mohamed Gacem et le connaître d'avantage, suivez ce lien : https://cheneyen.ksantini.net/rencontre-avec-mohamed-gacem-educateur-poete-et-ecrivain/