Depuis le début du 20e siècle et jusqu’à nos jours, l’écologie a fait du chemin. Aujourd’hui, on peut affirmer qu’une véritable conscience écologique s’est développée chez des millions de personnes à travers la planète. Des initiatives en matière de protection de l’environnement et de la terre, il en existe beaucoup. Il en est une cependant qui sort de l’ordinaire parce qu’elle touche à ce qui est sacré chez la majorité des êtres humains, et même tabou chez d’autres, leur corps après la mort.

L'humusation, une alternative à l'enterrement et à la crémation. Cheneyen Mag.
L’humusation respecte les rituels funéraires et permet à la famille du défunt de faire son deuil. Scène reconstituée. © Fondation Métamorphose, Belgique.

Tout a commencé lorsque des personnes très concernées par la protection de l’environnement ont souhaité qu’à leur mort leurs obsèques soient également écologiques. Jusque là rien d’étonnant à ce qu’un défunt écolo hollandais ou suédois veuille être inhumé dans un cercueil en carton recyclé ou dans une capsule biodégradable. Toutefois, l’évolution de la conscience écologique a amené certains écolos à vouloir appliquer à la lettre ces principes bien connus de l’agroécologie et de la permaculture : « tout déchet est la solution » et « Prendre soin de la terre ». Ainsi au lieu de se faire enterrer ou incinérer, ils ont décidé d’un Retour à la Terre en confiant leurs dépouilles à des « humusateurs professionnels » pour les transformer en compost qui servira à la croissance des arbres. C’est l’humusation des corps.

Qu’est-ce que l’humusation et pourquoi est-elle écologique ?

Les promoteurs de l’humusation la présentent comme une nouvelle forme d’inhumation des dépouilles humaines. Elle constituerait une alternative écologique à l’enterrement et à la crémation. En effet, expliquent-ils, l’inhumation traditionnelle a un impact écologique négatif. L’enterrement provoque d’importants dégagements de CO2 dus à la fabrication des cercueils, aux transports et entraîne la contamination des sols par les produits d’embaumement et de maquillage. Idem pour la crémation ou incinération des corps, qui rejette dans l’atmosphère des gaz à effet de serre, des gaz toxiques comme les dioxines et des métaux lourds comme le mercure, le plomb et le cadmium.

L’humusation, pratique funéraire 100% respectueuse de l’environnement :

Quel est l’objectif de l’humusation ?

Terreau obtenu par compostage des déchets organiques. Cheneyen Mag.

L’humusation se propose de transformer naturellement les dépouilles humaines en compost sain, en terreau fertile. Le corps humain ainsi composté participe à la régénération des sols dégradés et à la fertilisation des milieux naturels dont les sols ont été appauvris par la déforestation. Les forêts créées permettant de lutter contre le réchauffement climatique. Lavoisier disait au XVIIIe siècle : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.»

Comment se déroule l’humusation ?

Il existe plusieurs procédés d’humusation dont la finalité est la même : transformer naturellement le corps inerte en terreau sain et fertile. Le corps est enveloppé dans un linceul biodégradable, sans cercueil, puis déposé sur une épaisse couche d’un mélange de matière organique humidifiée qui diffère selon le pays : feuilles mortes, luzerne et/ou paille, bois d’élagage broyé, copeaux de bois, sciure de bois naturel. Les premiers centimètres sont mélangés à une couche de sol riche en micro-organismes et en microfaune (humus). Le corps est ensuite recouvert entièrement de cette matière organique. Des accélérateurs de décomposition naturels sont ajoutés pour stimuler les bactéries présentes naturellement sur le corps du défunt. En effet, elles participent activement à la décomposition naturelle du corps. La butte ainsi obtenue doit nécessairement se trouver dans un endroit sécurisé et ventilé.

Des différences existent entre l’humusation pratiquée en Europe et celle en usage aux États-Unis.

Où et comment est appliquée l’humusation ?

En Belgique, le corps enveloppé dans un linceul biodégradable est « inhumé » à l’intérieur d’une butte constitué de matériaux organiques naturels et d’une couche d’humus additionnés d’un compost de broyats de bois d’élagage ou BRF (Bois raméal fragmenté, très utilisé en permaculture). La dépouille qui repose sur un « lit douillet » de matière organique humidifiée entame sa décomposition sous l’action des micro-organismes et de la microfaune du sol. La forte montée en température (jusqu’à 70°C pendant plusieurs semaines) tue tous les germes et virus. La lignine présente en quantité dans le broyat de bois humide empêche toute émanation des odeurs. Il est important de noter que l’humusation se passe dans un endroit clos, protégé, sécurisé et ventilé. D’après les concepteurs de la méthode, la transformation en compost s’effectue en plus ou moins 12 mois. Les os sont ensuite récupérés et réduits en poudre qui est réintroduite dans la butte pendant un certain temps. En général, 1,5 m3 de compost est obtenu grâce à cette méthode. Une petite quantité suffisante pour un arbre (1,5 L environ) est remise à la famille du défunt et le reste utilisé comme terreau dans les plantations d’arbres en Europe ou ailleurs dans le monde.

L'humusation, une alternative à l'enterrement et à la crémation. Cheneyen Mag.
Cette scène d’inhumation par humusation est une reconstitution réalisée par Francis BUSIGNY de la Fondation Métamorphose. © Fondation Métamorphose, Belgique.
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La Région wallonne a confié à l’université catholique de Louvain (UCL) la mission de mener une série d’études pour comprendre l’impact social et environnemental de l’humusation. Les expérimentations ont été conduites sur le porc car assez proche anatomiquement de l’être humain. Les résultats n’ont pas été ceux attendus. Ils ont même été décevants.

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Le Professeur Philippe Baret, docteur en agronomie à UCL, et spécialiste en agroécologie, a expliqué que la décomposition biologique sur buttes n’aboutit pas à une décomposition totale car elle laisse « des restes d’aspect blanchâtre et gras, résultat de la transformation des graisses en savons imputrescibles ». Elle génère également, sous la butte, une quantité d’ammoniaque 57 fois plus importante que dans le sol témoin. Ce dernier point a retenu l’attention des autorités car il peut entrainer un problème de pollution des sols et des nappes phréatiques par les nitrates. Toutefois, les résultats de l’UCL n’ont pas mis en évidence d’autres polluants potentiels.

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La Fondation belge d’Utilité Publique « Métamorphose pour mourir, puis donner la vie » qui promeut l’humusation sur butte en Belgique a indiqué que ses propres expérimentations sur les animaux de compagnie qui lui sont confiés par les familles aboutissent à des résultats satisfaisants.

Aux Pays-bas, le corps enveloppé dans un linceul biodégradable est d’abord placé dans un cercueil en Mycélium* (partie végétative des champignons) au fonds duquel se trouve une épaisse couche de matière organique. Le Mycélium* accélère la transformation du corps en compost. Enterré en sous-sol, le cercueil « Living Coffin » (Cocon vivant), selon les rapports, aide le corps à composter plus efficacement par rapport aux cercueils ordinaires et élimine également les substances toxiques pour créer des conditions de sol riches pour la croissance de nouveaux arbres et plantes. Le « Living Coffin » est « absorbé par la nature et enrichit le sol au lieu de le polluer » affirme son concepteur Bob Hendrikx.

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Le cercueil en Mycelium « Living Coffin » (Cocon vivant). © Bob Hendrikx, NL.

En France, bien que l’inhumation traditionnelle soit bien ancrée dans la société et où la crémation est en nette progression, l’association « Humo Sapiens » tente de convaincre la population que l’humusation est tout aussi respectueuse des rituels funéraires. « Humo Sapiens veut mettre au point un nouveau protocole technique, répondant aux attentes sociétales des citoyens et des collectivités, explique Pierre Berneur, son président. Nous voulons permettre à ceux qui le souhaitent de perpétuer la vie à leur mort via un mode de sépulture régénératif et recourir aux forêts comme lieux de mémoire vivants. ». D’après le site des « Pompes funèbres de France », il semble que le procédé de décomposition naturelle sur butte retienne l’attention.

En Suisse, Aucune méthode ne semble privilégiée à l’heure actuelle. Bien que la méthode sur butte semble être la plus connue.

En Suède, c’est la promession, méthode mise au point par le Dr. Suzanne Wiigh-Masak qui est utilisée. Il s’agit d’une technique qui consiste à plonger le corps dans de l’azote liquide à -196°C puis à le transformer par vibration en de très fines particules. Cette poudre est insérée dans une urne biodégradable que la famille du défunt peut enterrer, crématiser ou dispersée.

Aux États-Unis, l’humusation est plus « High Tech » (voir photo ci-dessous). Elle utilise toujours la matière organique mais place le corps non plus à même le sol mais sur une civière qui est ensuite introduite dans un silo individuel de décomposition. Les différents paramètres du processus comme l’air, la température, l’humidité, la fermentation, l’aération, les liquides, etc., sont entièrement contrôlés par les opérateurs de la salle d’humusation qui contient les silos disposés en nid d’abeille. La durée de la transformation du corps en compost est ainsi ramenée à seulement 1 mois au lieu de 12 en Europe. La société américaine « Recompose » pionnière aux USA, appelle son procédé d’humusation : « Natural Organic Reduction » traduit en « Réduction Biologique Naturelle ». Cette entreprise estime que sa technique dépense huit fois moins d’énergie que la crémation.

L'humusation, une alternative à l'enterrement et à la crémation. Cheneyen Mag.
Humusation ou « Natural Organic Reduction » sur le site de Recompose à Seattle, WA., USA. © Recompose.

L’humusation est-elle légale ?

Aucun pays européen n’a encore légalisée l’humusation.

En Belgique, c’est illégal. Et bien que l’humusation figure dans la législation funéraire de la région Bruxelles Capitale depuis le 9 novembre 2018, les arrêtés d’application ne sont toujours pas publiés. Y a-t-il un lien de cause à effet, entre ce retard et les conclusion de l’étude menée par l’université caholique de Louvain (UCL) qui disent que l’humusation naturelle n’est pas une alternative viable aux modes de sépultures actuels tels que la crémation et l’enterrement ? En effet, les résultats ont montré que le compostage complet des dépouilles n’a pas été permis. De même, les quantités importantes d’ammoniaque trouvées dans le sol sous les buttes d’humusation, ont permis d’affirmer qu’il y aurait un risque important de pollution de l’environnement par les nitrates dans les cours d’eau. Les quantités étaient jusqu’à 57 fois plus élevées que dans l’échantillon de sol témoin. Néanmoins, les analyses effectuées n’ont pas mis en évidence d’autres polluants potentiels.

En Suède, l’humusation n’est pas légale. c’est la promession, méthode mise au point par le Dr. Suzanne Wiigh-Masak qui est autorisée.

En France, en réponse à la sénatrice du Rhône qui avait abordé le sujet lors d’une séance de questions au gouvernement en mars 2016, le Ministère de l’intérieur a précisé que l’humusation des corps était “actuellement interdite. Son introduction en droit interne soulèverait des questions importantes, tenant notamment à l’absence de statut juridique des particules issues de cette technique et de sa compatibilité avec l’article 16-1-1 du code civil.”

En Suisse, une discussion officielle a été engagée auprès du Grand Conseil par des conseillers du Canton de Vaux. L’association Humusation Suisse créée par Sarah Joliat, directrice d’une entreprise de pompes funèbres à Vevey, promeut l’humusation.

Aux Pays-Bas, l’humusation est autorisée à l’aide du cercueil Loop®, composé de mycélium. Cette méthode promet une décomposition rapide du corps.

Au Québec, l’humusation attend sa légalisation. Toutefois, la société commence à s’interroger sur l’empreinte écologique des funérailles. Dans les conclusions de l’étude réalisée par Mélanie Huneault en 2021 intitulée « La réduction de l’empreinte écologique des funérailles au Québec », l’auteur propose au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques de « développer une étude d’impact des émissions crématoires sur la qualité de l’air et sur la santé des citoyens et d’encourager le positionnement de l’humusation dans l’industrie funéraire québécoise ». Mélanie Huneault suggère également aux « salons funéraires et aux cimetières d’entamer une transition écologique de leurs activités ».

Aux États-Unis, après 2 années d’études et expérimentations concluantes menées sur des corps humains légués à l’université de l’état de Washington. Jay Inslee, le gouverneur de l’État de Washington, a signé en mai 2019 le projet de loi 5001 qui autorise le compost humain. 2 autres états sont considérés comme pionniers dans la légalisation de l’humusation comme alternative à la crémation et à l’enterrement, il s’agit de l’état du Colorado et de l’Oregon. Ils viennent d’être rejoints par le Vermont en juin 2022 qui devient ainsi le 4e état américain à autoriser l’humusation.

Alors, l’humusation est-elle viable ?

Non, estiment les autorités européennes puisqu’elles n’ont toujours pas autorisé légalement cette pratique d’inhumation alternative. Ont-elles été influencées par la publication des résultats de l’étude confiée à l’Université Catholique de Louvain ? On est en droit de le penser surtout que le siège de l’Union Européenne se trouve à Bruxelles, Belgique.

Oui, répondent ses promoteurs écolos ou entrepreneurs intéressés. Car mourir de façon écologique après avoir vécu de façon écologique est loin d’être une lubie d’écolos baba cools. C’est très sérieux et les entrepreneurs de pompes funèbres dont le chiffre d’affaire se compte en millions, ont commencé à s’informer sur le sujet et en discutent au sein de leurs organismes oficiels. « C’est une philosophie qui me plaît bien, admet Patrick Lerognon, secrétaire général de « l’Union du pôle funéraire public » français. C’est le retour et la redevabilité à la terre, l’utilité. Après, il faut toucher à la tradition et en France c’est compliqué. Ce serait révolutionnaire. ».

Pour les américains, la question ne se posent même pas. Recompose, l’entreprise qui a lancé l’humusation aux USA, vient de lever plus de 6 millions de dollars et conduit un travail de lobbying qui convainc de plus en plus de responsables politiques et de citoyens.

J’ai noté ce commentaire d’un citoyen US qui déclare sur le site de « Recompose » : « Wow, j’adhère complètement à ce procédé ! C’est extra de reposer sur des feuilles mortes ! Je suis pressé de l’essayer! ». A 7000 $ l’opération, ce n’est certainement pas n’importe quel écolo qui sera transformé en compost.

Par Hassen Ksantini

*Le mycélium est un réseau fongique souterrain de champignons. Il joue également un rôle crucial dans le processus de décomposition : « Il est constamment à la recherche de déchets à convertir en nutriments pour l’environnement. Il en fait de même avec les substances toxiques, notamment le pétrole, le plastique et le métal. Par exemple, le mycélium a été utilisé à Tchernobyl, également à Rotterdam pour nettoyer le sol et certains agriculteurs l’appliquent également pour rendre la terre à nouveau saine », a déclaré Bob Hendrikx, le fondateur de Loop, a rapporté Times Now.

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