En cette année du 60e anniversaire de l’indépendance du pays, nous avons assisté aux prémices d’une nouvelle approche des évènements qui ont marqué notre histoire récente. Pour la première fois, j’ai assisté à une conférence où la langue de bois et la gymnastique verbale pour éviter les sujets qui fâchent sont restées à la porte.
Thème de la conférence de M. Hocine Ouali :

 » أهم محطات الثورة التحريرية المجيدة بمنطقة سعيدة.  » – Les principales étapes de la guerre de libération dans la région de Saida.

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M. Hocine Ouali, historien des évènement de la guerre d’indépendance spécialisé dans la région de Saida nous a relaté calmement, avec minutie et en détail, les principales étapes de la guerre de libération dans la région de Saida sans oublier de nous faire comprendre avec tact que ce n’était que « le peu » qu’il savait car le « gros » est toujours enfoui dans des mémoires scellées à jamais, non pas par l’oubli, mais par le « refus de parler ».

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Maison de la Culture M. Khalef, Saida, Algérie. 1er octobre 2022.

Je croyais tout savoir sur la participation de Saida à la guerre de libération. Hocine Ouali m’a secoué par certaines révélations. Comme le fait que la guerre a véritablement commencé à Saida en 1956. Car bien que le PPA y était solidement implanté et que les actes de résistance avaient commencés dès le 2 mai 1945 et que des actes de résistance avaient lieu ça et là, l’absence d’une véritable organisation et surtout l’absence d’armement conséquent n’avaient pas permis de lancer concrètement la révolution armée. Larbi Ben M’hidi avait dès le début ordonné le transfert de tout l’armement disponible vers les régions de l’Est. Mais lorsque les armes sont arrivés, la région de Saida était devenue « l’Aurès de l’Ouest ». Le Colonel Lotfi a même songé y implanté son PC, nous dit M. Ouali. Saida devenait très dangereuse pour les français. Tant et si bien que l’État Major de l’armée française décida d’y envoyer le meilleur officier qui avait à son actif certains succès à Alger même, le Colonel Bigeard. D’aucuns disent que c’était également pour se débarrasser de lui car il devenait trop populaire et qu’il valait bien une mort héroïque là-bas dans cette Saida rebelle.

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M. Ouali a tenu a parler également du Dr. Stéfanini, de confession chrétienne, et du Dr. Kouby, de confession israélite, qui ont tant fait pour la révolution et qui n’ont même pas une rue ou une école à leur nom. Ainsi que des réseaux de résistants urbains, les Moussebiline ou Fedayine, comme celui de Si Mohamed El Maassakri. Quand aux femmes Moudjahidate, les Djoundiyate, dont malheureusement je n’ai pas retenu les noms sauf celui de la célèbre Bent el Wajdiya, Allah Itawel Fi Omerha, elles ont eu leur part aussi.

Bien sûr, le sujet des harkis et des ralliés est venue sur la table. Des combattants algériens se sont ralliés à Bigeard et ont été les « meilleurs » soldats des commandos Georges, Cobra, Trident et Maurice. Ce que j’ai trouvé dramatique, c’est que ce ralliement ne s’est pas fait sur une base idéologique ou par conviction mais souvent suite à une « hogra » (injustice, humiliation) subie pour certains ou à une grosse rivalité et conflits tribaux pour d’autres. L’exemple le plus connu est celui du nommé Youcef Benbrahim qui, d’après les dires de certains participants et de Monsieur Ouali lui-même, était d’un courage et d’une bravoure inimaginables lorsqu’il était avec les Moudjahidines. Une fois rallié à la france avec armes et bagages, il est devenu cruel et impitoyable, en plus. Un exemple parmi d’autres cité par M. Slimani, de l’OEM (enfants de Moudjahidines) et approuvé par le conférencier : Youcef Benbrahim a massacré toute une famille, les parents et leurs jeunes enfants. Le crime a eu droit à dix secondes et on est passé à autre chose. On aurait dit que le fantôme de Youcef Benbrahim rôdait encore à Saida.

M. Bouazza Miloud, qui a écrit sur la période coloniale, a déclaré lors du débat :  » L’histoire impose de relater les faits et rien que les faits, sans les déformer. Qui sait que Youcef Benbrahim a sauvé de la mort, à plusieurs reprises, des algériens ? « Enta, wa N’ta Rouh !  » disait-il à certaines personnes qu’il savait impliquées dans la révolution mais qu’il savait aussi être des personnes de valeur ». Rappelons que Miloud Bouazza a vu son père et ses oncles mourir devant ses yeux, tués par la france coloniale et qu’il n’a de leçons de patriotisme à recevoir de personne. Juste pour dire que les choses ne sont pas aussi simples qu’on le croit.

Certains « biyaînes » se sont attablés des années durant aux terrasses des cafés de la ville. Un participant a dit que son père connaissait l’identité des deux personnes qui l’avait « donné » à Bigeard et qu’il lui avait interdit de divulguer leur identité ou de s’adresser à eux. J’ai appris que d’autres personnes parmi l’assistance ont plus ou moins la même histoire à raconter.

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Comme toutes les révolutions, la nôtre a ses zones de lumières et ses zones d’ombre. Faut-il admettre cela et ne pas toujours chercher à fouiller le passé ? Certaines choses doivent-elles rester dans l’ombre ? Chacun a sa réponse. Je pense que certaines sociétés sont mieux préparées au choc de la vérité qui blesse. La nôtre ne l’est pas. Si elle l’était, ça se saurait. Nous aurions eu une « commission Justice et Vérité » aux premières heures de l’indépendance. Et nous aurions été débarrassés de cette hypocrisie et de ces ressentiments tus qui minent la société saïdéenne et qui sont en grande partie responsable de notre « désunion ». Mais d’un autre côté comment avoir cette commission alors que la France a embarqué toutes les archives et qu’elles refuse de les rendre à ce jour ? Peut-on juger et condamner des personnes sans preuves tangibles ? Sur la base de simples témoignages. Alors que l’on sait ce que valent certains témoignages qui ont permis à certains d’échapper au juste châtiment et à d’autres intrus d’accéder au statut officiel de Moudjahid ?!

A. Cheikh, un Moudjahid sage et connu de tous a dit quelque chose d’important :  » Nous connaissons ces gens qui ont travaillé avec la France contre la révolution. Nous leur disons : Enlever vos mains de notre histoire ! On ne vous veut aucun mal et on ne cherche pas à vous faire du mal ou autre chose. Ne travestissez pas notre histoire ! C’est tout ce qu’on vous demande ».

Un jeune universitaire historien, dont malheureusement je n’ai pas retenu le nom, nous a bien dit que  » beaucoup de choses resteront non dites tant que les protagonistes sont encore en vie « . Oui, on a compris que les conséquences de leur divulgation peuvent être terribles et entrainer le chaos dans la société, que ce soit à Saida ou ailleurs en Algérie sans oublier la « septième » wilaya, la Fédération de France.

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De G à D, A. Cheikh, Hocine Ouali, M. Slimani, Hassen Ksantini

Très bonne nouvelle : Le travail de longue haleine effectué par M. Hocine Ouali a servi à l’élaboration d’un livre qui sortira bientôt. Son auteur était présent cet après-midi. Tous les faits sont documentés grâce aux innombrables et très précieux documents rassemblés par M. Hocine Ouali ainsi que par l’auteur.

Allah Yerham Echouhada. Gloire éternelle à nos martyrs. Reconnaissance éternelle aux authentiques Moudjahidine et Moudjahidate.

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